Présentation
Très souvent, une organisation, ou un groupe de personnes présente les résultats de son action comme étant « normale », « vraie », autrement dit que ces résultats ne peuvent pas être autres que ce qu’ils sont. Cette manière de présenter les choses permet d’éviter la culpabilité des acteurs : ils ne sont pas responsables de leurs actes, ils ne pouvaient faire autrement, leur acte et un simple constat de la réalité.
Cette manière, « sociale », de présenter les résultats est assez traditionnelle dans notre secteur (les résultats de l’orientation), d’autant plus que tout un système argumentaire est largement développé (en particulier le rôle des notes et du travail des élèves, voir les travaux de Anne Barrère, et ce que j’ai écrit à propos des conseils de classe et des procédures d’orientation).
A l’inverse, au niveau des instances hiérarchiques (IA, rectorat), on aura la tendance, on pourrait dire exactement inverse, à supposer que ces résultats sont « voulus ». Les CIO semblent d’ailleurs souvent participer à cette manière de présenter la situation. Dans ce cas l’ensemble des résultats sur un territoire donné sont présentés en les référant à une moyenne statistique. On verra plus bas une discussion de cette situation.
Dans la mesure où une intervention suppose que les acteurs peuvent « agir » sur leurs actes, et en conséquence modifier les résultats, il est nécessaire de faire la part entre ce sur quoi ils peuvent agir, et ce sur quoi ils ne peuvent agir. La présentation des « résultats de l’institution » est une manière de tenter de négocier ce champ de responsabilités.
Mais il faut toujours penser qu’une modification de ce champ risque de perturber l’économie qui avait été instituée jusque là et qui permettait de tenir éloigner la culpabilité des acteurs. Il faut donc s’attendre à des réactions éventuellement violente pour protéger cette « tranquillité ». S’attaquer à cette tranquillité ne se fait pas sans conséquence.
La ficelle de l’hypothèse zéro
La ficelle décrite par Becker peut donc être utile. Elle consiste à prendre au sérieux la proposition faite par les acteurs de « normalité » du phénomène, et d’en calculer les conséquences.
« Tirages aléatoires
L’hypothèse selon laquelle le monde est gouverné par des phénomènes aléatoires leur sert de manière analytique en montrant comment le monde serait si cette hypothèse était juste. L’expérience tire sa pertinence et sa force de ce qu’elle montre que le monde, justement, n’est pas comme ça (…).
La ficelle de l’hypothèse zéro consiste ici à poser que la sélection des participants esteffectivement aléatoire, que chaque membre de l’ensemble plus vaste des participants potentiels avait la même probabilité d’être choisi, et que rien ni personne – pas même les mécanismes de la structure sociale – n’a procédé à un quelconque type de « sélection ». On pose que le groupe de participants s’est formé selon un processus analogue à celuià attribuer un numéro à chacun puis à utiliser une suite de chiffres aléatoires pour désigner les élus. On pose que les mille enfants vivant dans un quartier à fort taux de délinquance juvénile avaient tous la même probabilité de devenir des délinquants. Certains ont vu leur numéro tiré au hasard, d’autres non. Et c’est tout.
Bien sûr, dans la réalité sociale, tout le monde n’est pas « éligible », ou pas également « éligible » pour participer à un événement donné. Les mécanismes de la vie sociale font presque toujours en sorte que seul un petit groupe de gens sévèrement sélectionnés sera choisi ou sera apte à être choisi. C’est l’idée de cette ficelle. Exactement comme dans sa version statistique, elle permet de faire comme si la sélection était aléatoire uniquement pour voir en quoi la population sélectionnée pour participer diffère par rapport à la population qu’une sélection aléatoire aurait fournie. On suppose qu’il y auraune différence, et on veut savoir ce qu’estcette différence afin de chercher ensuite quelles sont les pratiques ou les structures sociales qui ont produit cette variation par rapport au tirage aléatoire. » pp. 52-53
Remarques personnelles
On utilise ce type de ficelle lorsque l’on produit par exemple les statistiques d’orientation sur un territoire. On produit une moyenne en même temps que l’on donne les fréquences observées pour chaque établissement. Mais il y a tout de même en général un oubli, c’est qu’il y a une « marge d’erreur » autour de la moyenne, qui peut être calculée. Ce qui permet de considérer qu’une fréquence, même différente de la moyenne, peut être considérée pourtant comme « normale », car intérieure à l’intervalle de confiance comme on dit. Le plus souvent, les résultats de statistiques oublient en général cet élément.
Bernard Desclaux, le 17 février 2010
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